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Jim est un pur « Ileach » , (natif d’Islay) ; il parcours le monde pour promouvoir ses whiskies et sa vision holistique du produit totalement ancré au terroir à la manière des vignobles et AOC de France. À bonne distance du jargon marketing, son motto : “we believe terroir matters” prend tout son sens dans le soin apporté à chaque étape de la fabrication du whisky : orge 100% Islay (pour certaines références) une eau pure, une distillation très lente et un vieillissement sur place dans des fûts rigoureusement sélectionnés.
Apprenti tonnelier à la distillerie Bowmore (groupe Suntory) dès l’âge de 15 ans, il en devient le maître de chai à 20 puis le maître distillateur à 38 ans. En 2000, il prend en main la distillerie bruichladdich et lui donne une seconde vie.
Passionné, pince sans rire, Il captive son auditoire dès les premiers mots. Un verre de Classic Laddie en main, Il va et vient à grandes enjambées entre les deux tablées, pour nous décrire par le menu le déroulement d’une dégustation “type” : Au 1er whisky personne ne parle, au 2ème quelques sourires apparaissent, murmures au 3ème verre, rires en cascade au 4ème, au 5ème tout le monde m’aime et au 6ème les convives se battent pour m’emmener chez eux ! C’est Donald, hilare, qui traduit les mots Écossais de Jim pour la soirée.
The Classic Laddie - 50%. Il arbore une robe jaune dorée comme un épi d’orge mature ; au nez, la crème brûlée et la vanille trahissent son fût de bourbon, le fût de Xérès quant à lui est révélé par les dattes et les raisins secs. La saveur mielleuse est apportée par les micro particules de sel marin, qui, transportées par l’air ambiant et les embruns, voyagent 5 années à travers le bois du fût pour rejoindre le whisky qui roupille tranquillement au fond du chai.
Jim nous convie à immerger l’index dans le whisky ; la goutte qui perle au bout de son doigt y reste accrochée le temps d’un aller retour entre les tables, un signe de non filtration du whisky. On tartine ensuite cette goutte sur nos paumes, la sensation est huileuse ; puis le doigt sur la langue nous apporte une vague sucrée comme la première gorgée avec laquelle on s’humecte les lèvres. Quelques gouttes d’eau libèrent à nouveau les arômes.
Islay Barley 2007- 50%, est le premier whisky distillé avec de l’orge 100% Islay, une première également pour Jim McEwan et ses 52 années de métier. La culture de l’orge s’est arrêtée en 1914 quand l’état major Anglais envoyait au front les régiments Écossais se faire tuer en priorité... Ce fut une hécatombe (un sentiment de rancœur et un déni de justice perdure encore jusqu’à aujourd’hui vis à vis de la couronne britannique).
Cahin-caha l’élevage prend le relais et c’est la crise de la vache folle des années 1990 qui frappe à nouveau Islay. Le bétail est exterminé, les fromageries ferment et les paysans, ruinés, sombrent à nouveau dans le désespoir. Jim leur propose de collaborer (il insiste sur le terme) avec Bruichladdich en produisant de l’orge pour la fabrication du whisky. Petit à petit la reconversion s’opère et à ce jour, 40% de l’orge est produite sur le sol riche et fertile d’Islay.
L’orge locale est rustique, ses racines sont profondes pour résister aux tempêtes et aux pluies chargées d’embruns salés. Une petite quantité (1%) de « Bere » (orge native des vikings) à l’écorce épaisse et pauvre en amidon est encore cultivée et ajoutée au distillat ; aux dires de Jim, elle a son importance dans le goût du whisky ...
Fort de ce savoir, Jim nous fait part d’une expérience « terroir » unique en Écosse : on a divisé le pays en 8 zones des Highland jusqu’aux lowlands sur lesquelles a été semée, distillée et mise en fût la même qualité d’orge. Verdict dans cinq ans pour analyser l’impact du terroir sur le whisky.
Retour au Islay Barley 2007 où le côté mielleux est plus franc que sur le précédent pour cause d’une maturation en fût de vin rouge (Syrah) Français.
Le Port Charlotte Scottish Barley a vieilli à 85% en fût de bourbon et à 15% en Oloroso, c’est le whisky tourbé (40ppm) fabriqué par la distillerie pour faire taire les « Monkeys » (concurrents) qui reprochaient à Jim et son équipe de ne pas savoir distiller le whisky tourbé. Pour les « Ileach », un whisky c’est tourbé ! point à la ligne. Afin de leur clouer définitivement le bec, il crée les Octomores que l’on dégustera en 5 et 6.
Contrairement aux idées reçues, la forme de l’alambic est secondaire, Jim affirme que seule compte la vitesse de distillation et le temps passé du distillat en contact avec le cuivre, slowly, slowly. Il dénonce la fabrication des whiskies hyper tourbés qui partent directement en fût avec les soufres sans pratiquement toucher le cuivre, ceux-là ne laissent en bouche qu’une sensation 100% tourbe et sont d’une grande pauvreté aromatique. Ce Port Charlotte tout en finesse dégage des arômes de bord de mer : coquilles écrasées, tabac Hollandais, poivre noir, réglisse, raisin et caramel. La douceur de l’orge maltée fumée contraste à merveille avec la fraîcheur marine, un côté cendré aux notes épicées.
Il y a 15 ans, Jim guidait une vingtaine de Japonais du groupe Suntory en visite à Bowmore. Bardés d’appareils photos ils shootaient la distillerie dans ses moindres détails et notaient scrupuleusement la moindre de ses remarques ; Se saisissant d’un morceau de tourbe, Jim évalue son âge à environ 5000 années. Déconfiture et consternation du Japonais qui abhorre l’à-peu-près. Jim se penche alors sur sa tourbe et joue son rôle d’expert qualifié : Il la sent, la renifle, il la scrute bras tendu, puis en croque un morceau qu’il mâche lentement les yeux au ciel. Frappé soudain par l’inspiration divine, il scande, impérial : 5243 ans ! ravalant un fou-rire naissant, il s’éloigne de quelques pas puis se retourne machinalement et contemple, abasourdi, vingt Nippons les yeux au ciel de la tourbe plein la bouche...
Port Charlotte Islay Barley 50% est exclusivement distillé avec de l’orge 100% Islay provenant de six fermes partenaires. Vieilli en fût de bourbon (90%) et de vin rouge Français (10%) ce whisky dégage un bouquet marin finement tourbé (40ppm) aux notes de framboises, cranberries et cacao fumé. Cette expression est un hommage à la distillerie Port Charlotte disparue en 1923. Caramel, noix grillées et agrumes sont présents en bouche en harmonie avec la tourbe.
Ses dimanches, Jim les passe sur la côte de son île à guetter les grosses vagues qui arrivent du large, un “wave watcher” comme il dit... Ce type est incroyable, il nous transporte sur Islay, les deux pieds dans la tourbe, ballotés par un vent furieux qui nous crache ses paquets d”embruns à la figure. À travers mon verre, je contemple l’horizon d’Islay projeté au loin sur l’écran.
Octomore 6.1 - 57% -167ppm. Whisky complexe et puissant, surnommé à juste titre l’Usain Bolt du monde du whisky, une mise en condition est nécessaire pour le déguster : Il faut se mettre dans la peau du champion de course Jamaïcain, les deux pieds dans les starting blocks comme si c’était l’or des J.O.
Passé l’échauffement, (nez marin, embruns iodés , bruyère), on le garde en bouche quelques seconde en fixant du regard son voisin de table pour y lire « l’effet » Octomore : ma voisine, tout sourire, est décoiffée par la sensation... Deux fois et demi plus tourbé qu’un Ardbeg classique, sa finale est longue, très longue, j’adore ! c’est un pur bonheur, que ce nectar vieilli 5 années en fût de bourbon. Certes, il faut apprécier le whisky tourbé, mais il y a tellement de richesse dans ce nectar où l’orge maltée s’épanouit pour laisser place au chêne. Viennent ensuite les notes de vanille et de noix, réhaussées de touches subtiles de poire, pomme et citron vert.
Octomore 6.3 - 64% - 258 ppm. Champion du monde de la tourbe avec ses 258 ppm, Surprenant au nez, il dégage des notes fraîches et fruitées malgré la tourbe ; en bouche le raisin rouge cotoie le chocolat amer et le sirop d’érable dans des notes savoureusement boisées. Une finale toute en force, puissante et riche, qui donne l’envie soudaine de chevaucher la lande nez au vent en déclamant des vers de Robert Burns.
Ce whisky emprunte son nom à une ferme distillerie aujourd’hui disparue. Distillé avec de l’orge 100% Islay produite sur la parcelle de cette ancienne ferme, l’Octomore 6.3 est né dans la cuve de maltage de 1881 (la dernière au monde) et l’alambic de 1881 toujours en service à Bruichladdich. JimMcEwan nous déclare fièrement qu’il emploie aujourd’hui 70 personnes à la distillerie, sans compter les fermes environnantes qui assurent l’approvisionnement en orge ; belle prouesse comparée à certaines distillerie industrielles entièrement automatisées qui tournent avec trois personnes pour produire 10 fois plus.
La publicité pour un blend racontée par Jim : Les larmes du prince Charles.
Le Prince Charles renifle son whisky, il entend la cornemuse ; puis il replonge son (long) tarin dans le tumbler et tend sa (grande) oreille : cri lointain de l’aigle au sommet du Ben Nevis (avec de l’écho) ému, il ferme les yeux et frémit (gros plan sur la larme qui glisse sur sa joue et tombe dans le ruisseau qui alimente la distillerie) la larme du prince Charles finit dans l’alambic et dans votre verre 3 ans plus tard... rigolade générale !
Pour conclure toute l’assemblée se lève, pied gauche sur le siège et pied droit sur la table et l’on trinque à voix forte en Gaëlique ancien à la santé de la distillerie Bruichladdich.