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Le 28 décembre 1879, deux événements advinrent simultanément en Écosse : la catastrophe ferroviaire où périrent 75 personnes, précipitées depuis le plus long pont du monde dans les eaux glacées du Tay, et la première distillation dans les alambics flambants neufs de Glenrothes. Jour de deuil pour les uns, naissance d’un projet pour les autres.
La distillerie est fondée en 1878 par James Steward (propriétaire de The Macallan), John Cruisbank et les banquiers Robert Dick et William Grant.
Elle est située à la périphérie du village de Rothes (comté de Moray) niché sur la rive ouest de la Spey à 16 km au sud d’Elgin au cœur du Speyside, le « triangle d’or » du whisky Écossais.
La source Lady Well, "puits de la Dame" qui ravitaille la distillerie, fut le théâtre d’un meurtre au XIIIème siècle. Mary Lesly, fille du comte de Rothes, fut assassinée par le comte de Buchan (surnommé le loup de Badenoch) alors qu’elle tentait de protéger son amant.
La distillerie, aujourd’hui propriété du groupe Edrington, a cédé la marque Glenrothes à Berry Bross & Rudd (marchands de vins et spiritueux sur James street depuis 1698) en échange de la célébrissime marque de blend « Cutty Sark ».
Les malts entrant dans la composition des blends sont peu connus du grand public. Glenrothes prête ses arômes au « Famous Grouse » et « Cutty Sark ».
Berry Bross & Rudd créa la niche des whiskies premium millésimés au début des années 1990 ; il partit du postulat suivant : comme les vins, les whiskies partageraient les mêmes exigences en termes de sélections et de caractéristiques propres à chaque année en fonction des ingrédients, des variations climatiques et bien sûr de la maturation ; il en résulterait un whisky fini et unique, contrairement aux produits traditionnels formatés et sans surprises ; une petite révolution dans le monde du whisky.
Berry Bross & Rudd lança en 1994 le tout premier single malt « vintage » millésimé « 1979 » ce Glenrothes sans mention d’âge fut conditionné dans cette élégante bouteille de forme ronde inspirée des flacons utilisés par les distilleries pour les échantillons de dégustation.
En décembre 1897, le feu ravagea les bâtiments en pleine rénovation. Un protocole anti-incendie fut instauré à l’issue de cette catastrophe, ce qui n’empêcha pas une explosion dans la salle des alambics en 1903.
En 1922, le chai n°1 fut la proie des flammes entrainant la perte de 900 000 litres de whisky, dont une bonne partie finit dans la Rothes pour la plus grande joie des habitants et des vaches qui s’abreuvaient dans le cours d’eau.
Le dernier incendie déclaré date de 1962 ; la distillerie profita de l’événement pour se moderniser et installa 6 alambics l’année suivante, puis le parc s’agrandit à 10 en 1989.
Seraient-ce les vapeurs méphitiques s’échappant des tombes du cimetière voisin et se mêlant à la part des anges qui forment un cocktail incendiaire détonant ? Ou bien un mauvais coup du revenant félon, ombre fugace qui crache des propos bilieux en gaélique ancien et que l’on peut croiser parfois en automne-hiver, quand un épais brouillard masque la pagode ?
On peut souhaiter somme toute que les anges partagent généreusement avec les défunts du champ d’à côté, aux premières loges pour inhaler les subtiles exhalaisons des fûts de Bourbon.
Il reste encore quelques concessions tourbeuses au pied des chais pour qui veut s’enivrer en douceur et sans limites avec la plaisante compagnie des divinités celtiques…